Cuba parte uno : l’embargo des États-Unis et la crise alimentaire de 2008

Contre le blocus de Cuba
Le blocus de Cuba pèse énormément sur l'économie de l’île - Photo : © Sami Sarkis
Fidel Castro a laissé le 19 avril 2011 sa place de Premier secrétaire du Parti communiste de Cuba (PCC) à son frère Raúl. Déjà, le 24 février 2008 il avait dû lui abandonner officiellement son poste de Président du Conseil d’État de la République de Cuba pour raison de santé. Le choix de la date n’est sans doute pas un hasard. 60 ans plus tôt, le 16 avril 1961, avait lieu le débarquement d’anti-castriste entraînés par la CIA à la baie des cochons. Alors en pleine Guerre froide, la position de Cuba, allié de l’URSS, était perçue comme dangereuse. Mais cette tentative d’incursion s’est soldée par un échec du camp étasunien qui comptait être aidé par la population cubaine finalement restée fidèle à Castro.

Fidel a par la suite continué son « insolence » à l’égard des États-Unis en refusant de se soumettre aux directives d’un des deux pays les plus puissants de l’époque. Le 7 février 1962 est alors instauré un embargo total à l’égard du Cuba. Près de 60 ans plus tard, cet embargo est toujours effectif. Selon Lester D. Mallory, sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires inter-américaines, « le seul moyen prévisible de réduire le soutien interne passait par le désenchantement et le découragement basés sur l’insatisfaction et les difficultés économiques (…) Tout moyen pour affaiblir la vie économique de Cuba doit être utilisé rapidement (…) : refuser de faire crédit et d’approvisionner Cuba pour diminuer les salaires réels et monétaires dans le but de provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement.[1] » L’idée n’est donc pas de libérer le peuple cubain de l’ »oppression » castriste, mais de changer de régime à n’importe quel prix. En effet, la position de Cuba est stratégique pour son allié soviétique, qui va devenir le principal partenaire de l’île.

L’économie cubaine connaît aujourd’hui des difficultés financières. Elle doit se passer des États-Unis pour importer des produits de haute technologie, notamment dans le secteur médical. L’Europe est une solution alternative, mais les couts sont plus nettement plus élevés dû à son éloignement géographique. L’ambassade de Cuba en France, dans un communiqué daté du 27 octobre 2010, indique que ce blocus a engendré une perte économique de 100 154 000 000 de dollars à prix courant pour Cuba. Selon le Bureau of Labor Statistics, le chiffre atteindrait 239 533 000 000 dollars en prenant en compte l’inflation des prix de détail aux États-Unis. Cet embargo n’est pas toujours évoqué pour expliquer les difficultés cubaines alors qu’il a une importance de taille. Cette mise au ban par les États-Unis a une nouvelle fois été condamnée par l’ONU en octobre 2010. Mais malgré ses conséquences dramatiques, l’embargo est peut-être une chance pour Cuba. Qui sait ce qu’il adviendra lorsqu’il aura disparu ? Les Cubains ne seront-ils pas aveuglés par les néons du consumérisme à outrance ?

Mais le grand coup dur pour Cuba a été l’effondrement du bloc soviétique qui était son principal partenaire commercial. Le PIB cubain a chuté de 35 % et les États-Unis ont renforcé l’embargo. Cuba va alors connaître sa première famine [2]. L’arrivée d’Hugo Chavez à la tête du Venezuela (presque) voisin a permis de nouer un solide partenariat. Ensemble, ils vont être les instigateurs de l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA). C’est une organisation qui regroupe les pays socialistes d’Amérique latine[3] qui a pour but de facilité des échanges commerciaux entre eux. En 2005, Cuba et le Venezuela signent le Traité commercial des peuples (TCP) permettant l’ »échange » de médecins contre du pétrole. En 2006, la Bolivie d’Evo Morales se joint à eux. Cuba a donc décidé de ne plus mettre les pieds dans le même panier comme au temps de l’URSS et en plus des pays précédemment cités, l’île a élargi ses partenariats commerciaux avec des pays comme la Chine, le Vietnam et le Canada.

Cuba n’est pourtant pas au bout de ses peines. Malgré la volonté de diversifier ses échanges, le pays doit faire face avec les catastrophes climatiques. Les îles des Antilles sont situées dans une zone où sévissent chaque année des cyclones plus ou moins puissants. En août 2008, elles sont frappées par l’ouragan Gustav dont on estime les dégâts pour Cuba à 3 milliards de dollars. En plus, cette année-là, et comme de nombreux pays à travers le monde, l’île révolutionnaire est touchée par la crise alimentaire mondiale. Son alimentation dépend des importations qui ont vu leur prix augmenter : « La très faible productivité du secteur agricole public — alors même que le secteur privé assure environ 70 % de la production nationale —, qui oblige le pays à importer plus des deux tiers de la nourriture qu’il consomme » note Janette Habel[4]. Elle relève aussi un commentaire de l’économiste Omar Everleny Perez sur l’impact que cette hausse des prix alimentaires a sur la population : « Les revenus personnels ne suffisent pas à couvrir les dépenses indispensables de la famille cubaine moyenne, compte tenu du prix élevé des aliments sur les marchés. C’est pourquoi une partie de la population ne peut satisfaire ses besoins de base ». Pourtant, en réformant ses moyens de production, elle pourrait même exporter puisque près de la moitié des terres du pays sont en jachère en  2008 !

Notons aussi que la main mise de l’État sur l’économie cubaine engendre un système bureaucratique tout puissant. Selon Alberto Guevara, cinéaste et proche de Fidel Castro, « la bureaucratie est représentée par des dirigeants inutiles qui pensent que leur tâche consiste uniquement à donner des ordres. L’État, ce n’est pas la bureaucratie, mais évidemment un État disproportionné crée un phénomène idéologique bureaucratique ». Cette bureaucratie n’est plus à l’écoute de la population, mais génère de la corruption avec la participation de quelques hauts fonctionnaires que Raul Castro à l’intention de poursuivre : « Face aux violations de la Constitution et de la légalité établie, il n’y a d’autres alternatives que de recourir au Procureur et aux Tribunaux, comme nous avons déjà commencé à le faire, pour exiger des responsabilités aux contrevenants, quels qu’ils soient, car tous les Cubains, sans exception, sommes égaux devant la loi »[5].

Cuba est donc malade de cet embargo et n’a pas été suffisamment réactif pour anticiper la crise alimentaire obligeant le pays à se restructurer.

Touts les articles du dossier sur Cuba :

  1. Lester D. Mallory « Memorandum From the Deputy Assistant Secretary of State for Inter-American Affairs (Mallory) to the Assistant Secretary of State for Inter-American Affairs (Rubottom) », Department of State, Central Files, 737.00/4-660, Secret, Drafted by Mallory, in Foreign Relations of the United States (FRUS), 1958-1960, Volume VI, Cuba: (Washington: United States Government Printing Office, 1991), p. 885. []
  2. Renaud Lambert, Ainsi vivent les cubains, Le Monde Diplomatique, avril 2010. []
  3. On retrouve huit pays membres : Antigua-et-Barbuda, Bolivie, Cuba, Dominique, Équateur, Nicaragua, Saint-Vincent-et-les Grenadines Venezuela et quatre pays observateurs : Iran, Haïti, Russie, Uruguay. []
  4. Maître de conférences à l’université de Marne-la-Vallée et à l’Institut des hautes études d’Amérique latine (IHEAL). []
  5. Raúl Castro, Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil, Cubadebate, 1er août 2011. []
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