Torture blanche de Philipe Squarzoni (Bande dessinée sur le conflit israélo-palestinien, 2003)

torture_blanche.jpgL'auteur et d'autres militants d'ATTAC se sont retrouvés en Israël, en décembre 2002, dans le cadre des campagnes civiles internationales de protection du peuple palestinien.

Le but de ces missions est d'essayer de limiter, par la présence d'observateurs internationaux, les souffrances infligées au peuple palestinien.

[...]

Depuis les accords d'Oslo en 1993, Israël a multiplié par trois le nombre de ses colons et par deux celui de ses colonies, en toute illégalité. De 7 000 en 1977, le nombre de colons dans les territoires occupés est passé a plus de 200 000 en 2002 ! Plus 200 000 autres à Jérusalem-Est ! Les colonies sont reliées les unes aux autres par un réseau de routes et de check-points assurant leur domination spatiale sur les territoires palestiniens, les transformants en un système d'alvéoles étanches dont l'armée contrôle les entrées et sorties, isolant leur population dans de petits îlots non viables, véritables réserves ou ghettos.

Cette stratégie permet d'étrangler les Palestiniens dans la Cisjordanie et la Bande de Gaza, de les asphyxier pour les obliger à partir "volontairement".

Dans le même but, plus de 10 000 maisons palestiniennes ont été détruites depuis 1967. [...] Résultat, plus de 15 000 Palestiniens ont quitté le territoire ces deux dernières années.


C'est avec ce constat que commence cette Bande dessinée composée de témoignages et de retour d'expérience de manifestations faites dans plusieurs villes.

Shuafat : situé non loin de la ligne verte qui marque la frontière de 1967, au nord-est de Jérusalem, c'est le seul camp de réfugiés de la Cisjordanie. Entouré de cinq colonies, il fait obstacle au projet d'encerclement de Jérusalem.

Bethléem : manifestation pour dénoncer l'interdiction de se rendre dans les territoires occupés. Après avoir franchi le check-point, ils sont accueillis par des Palestiniens heureux de découvrir que l'on s'intéresse à leur sort.

L'autre objet de la manifestation était de dénoncer la globalisation. En Israël, « c'est d'abord l'injustice du soutien américain à Israël, sans lequel l'occupation militaire ne serait pas possible et cette situation a encore empiré après le 11 septembre. Non seulement le virage militaire de la mondialisation renforce Israël dans son rôle de bras armé essentiel aux intérêts américains dans la région, mais en s'inscrivant dans cette prétendue lutte contre le terrorisme, l'actuel gouvernement israélien a pu aggraver sa politique de refus des droits du peuple palestinien dans une répression qui alimente le cycle des violences sans fin. »

Si on considère le conflit israélo-palestinien dans sa dimension politique, et non religieuse ou ethnique, alors on réalise que c'est un conflit entre un mouvement colonial et un mouvement de libération national ! [...] L'antisionisme n'est rien d'autre que la critique politique de cette idéologie coloniale !

Hébron : ville coupée en deux zones. L'une est sous souveraineté palestinienne, l'autre sous contrôle militaire israélien, où vivent 40 000 Palestiniens, pour protéger 400 colons proche du parti d'extrême droite israélien Kach dont certains s'amuse a tiré a balle réelle sur les habitants arabes.

Tel-Aviv : La manifestation pour la paix qui s'y est déroulée a montré l'ambivalence de la gauche israélienne. Certains militants soutenaient que le mur de séparation pouvait être une bonne solution, avouant ainsi que le pays ne pouvait pas être partagé avec les Arabes.

Maintenant, c'est un fait sur lequel on ne va pas revenir. Il n'est pas question d'expulser, ou de renvoyer les Israéliens ! On ne répare pas une injustice avec une autre injustice. Mais la nature même du projet sioniste, un projet intrinsèquement colonialiste , fondé sur le déni du droit des Palestiniens, pose un réel problème au camp de la paix : comment penser le sionisme en paix avec les Palestiniens ? Comment vouloir à la fois la paix et la domination ?


Ramallah : premier forum social de Palestine. Les échecs du projet libéral et des accords d'Oslo s'inscrivent comme des éléments de la militarisation du conflit. Les milieux d'affaires israéliens ont vu une opportunité d'ouvrir de nouveaux marchés avec les pays arabes et ont par conséquent soutenu les accords d'Oslo. Mais avec l'éclatement de la bulle Internet en 2000, Israël a connu la récession en 2001 et 2002. Le taux de chômage dépasse les 11 %, les salaires baissent de 5 % et un Israélien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Depuis les années 1990, la croissance a principalement bénéficié aux catégories les plus privilégiées.

Dans les années 50, l'Israël socialiste était l'un des pays les plus égalitaires. Les 20 % les plus riches gagnaient seulement 3 fois le revenu des 20 % les plus pauvres. Mais Israël est devenu le pays le plus inégalitaire des pays développés et ce ratio atteint aujourd'hui 21,3.

Pour restaurer une légitimité chancelante, Israël use de la militarisation contre les spectres du « terrorisme » et de l' « insécurité ».

Mur de séparation : Lors de la réalisation de la bande dessinée, le mur était en construction. Il est trois fois plus large et deux fois plus haut que celui de Berlin, sans que cela n'émeuve la communauté internationale. Derrière la construction de l'ouvrage, il s'agit d'un processus de nettoyage ethnique, par confiscation des terres et la destruction d'habitations. Il s'agit d'une méthode plus discrète qu'un bombardement, mais tout autant efficace. Avec l'achèvement du mur, c'est 16 % de la Cisjordanie qui est annexée.

Terrorisme : Le terrorisme aveugle empêche le rapprochement des forces pacifistes arabes et israéliennes, alimente la logique de violence. Il simplifie le conflit en un combat d'extrémistes. Mais c'est occulter le fait qu'Israël détient 78 % du territoire alors que les Palestiniens détiennent les restes et une autonomie de façade, que la situation actuelle est basée sur une injustice, l'expulsion des Palestiniens de chez eux, enfin que les Israéliens disposent de moyens militaires très importants et les utilisent de manières parfois disproportionnées.

Il existe véritablement trois points d'achoppement dans ce conflit :

  • le retour des réfugiés
  • le statut des colonies
  • la question des colonies

Le plan de paix de Genève de 2003 a laissé entrevoir une porte de sortie à laquelle l'auteur y a cru. Il s'est même posé la question sur l'utilité de publier ce livre. Malheureusement, en 2012, il est plus que jamais d'actualité.

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