Hommage à la Catalogne de Georges Orwell (Roman sur la guerre d'Espagne, 1938)

Hommage à la Catalogne de Georges Orwell (Roman sur la guerre d'Espagne, 1938)
Récit historique dur la guerre civile espagnole à laquelle Georges Orwell a pris part.
Dans ce livre Orwell revient sur sa participation à la guerre d'Espagne dans les milices du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM, parti dissident marxiste et trotskyste opposé au stalinisme). Il nous fait part de sont expérience du front contre les rebelles franquistes et des guerres intestines entre le gouvernement stalinien du PSCU (Parti socialiste unifié de Catalogne, créé au début de la guerre réunissant plusieurs partis de gauche dont le Parti communiste Espagnol, majoritaire) contre les partis trotskystes et anarchistes.

L'Espagne devient en 1931 une République. En 1936, le Frente Popular — coalition électorale d'organisation de gauche — remporte les élections et forme un nouveau gouvernement. L'assassinat du monarchiste José Calvo Sotelo — en représailles de la mort d'un membre du Parti socialiste — va être un prétexte pour les forces de droite, militaires et phalangistes menées par le Général Franco, pour lancer une insurrection d'abord au Maroc espagnol, puis rapidement en Espagne. Deux camps vont alors s'affronter : les rebelles nationalistes partisans de Franco et les républicains mêlant les forces de gauche (républicains, anarchistes, communistes, régionalistes, etc.). Cette guerre civile (avec pourtant l'intervention de l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie) durera 33 mois.

Dans son livre Orwell fait le récit de sa participation à la guerre d'Espagne au sein du POUM. En décembre 1936, il se rend à Barcelone pour s'engager dans les troupes républicaines. Après la rébellion de Franco, des milices catalanes se sont constituées à la hâte pour la stopper. Celles-ci devront attendre quelques semaines avant que l'Armée populaire de la République espagnole — le temps de sa réorganisation après plusieurs échecs — ne les supplée et les intègrent dans ses rangs. De ce fait, la position des milices est restée longtemps inchangée et les conditions dans lesquelles vivaient les miliciens, décrits par Orwell, n'étaient pas du luxe notamment lors du froid hivernal en montagnes dans les tranchées.

Orwell présente les milices comme inexpérimentées. En effet, de nombreux individus la constituant n'ont pas 20 ans. Orwell est alors un des plus expérimentés de son régiment puisqu'il a participé à la Grande Guerre. Mais pire durant leur bref entrainement, les miliciens ont très peu manié les armes, car elles étaient avec les unités déjà au front. C'est lorsqu'ils relaieront les frontistes qu'ils en récupéreront. La plupart de ces armes dataient de plusieurs années et n'étaient pas fiables. Leur défectuosité était la cause de plusieurs blessés dans leur propre rang.

En revanche, il dépeint les milices comme égalitaires. Leur système de fonctionnement était démocratique et égalitaire. Tout le monde était traité de la même manière : « Le point essentiel [de l'Armée Populaire] était l'égalité entre les officiers et les hommes de troupe. Tous, du général au simple soldat, touchaient la même solde, recevaient la même nourriture, portaient les mêmes vêtements, et vivaient ensemble sur le pied d'une complète égalité. […] On s'était efforcé de réaliser dans les milices une sorte d'ébauche, pouvant provisoirement fonctionner, de société sans classes. Bien sûr, ce n'était pas l'égalité parfaite, mais je n'avais encore rien vu qui en approchait autant, et que cela fût possible en temps de guerre n'était pas le moins surprenant ». Alors que ce système a été très critiqué, Orwell le défend. Selon lui, le problème venait de la constitution des unités à la hâte — pour bloquer le plus rapidement possible les troupes franquistes — et son inexpérience.

Lorsque l'Armée populaire est venue relayer le régiment d'Orwell, celui-ci a été affecté sur un autre front. Il y a découvert une façon inédite de faire la guerre, celle des porte-voix. Les combats étaient peu nombreux, mais pour que le temps ne soit pas perdu, une guerre de propagande est menée par l'Armée populaire. Des hommes devaient se faire entendre du camp franquiste en répétant inlassablement des propos anticapitalistes, parfois en enjolivant la situation des soldats de l'Armée populaire. Le but était de susciter des défections chez les nationalistes.

Après plusieurs semaines quasi ininterrompues, Orwell a pu aller en permission. De retour à Barcelone, il découvre une population moins enthousiaste pour la guerre : « Lorsque j'étais arrivé pour la première fois à Barcelone, j'avais cru que c'était une ville où il n'existait guère de distinctions de classe ni de grandes différences de richesse. [...] Je n'avais pas saisi qu'il y avait là surtout un mélange d'espoir et de camouflage. [...] les bourgeois étaient apeurés et se travestissaient momentanément en ouvriers ». Tout était donc revenu à la "normale". Les bourgeois pouvaient de nouveau s'afficher au grand jour aux côtés des mendiants.

Orwell découvre à ce moment-là que la dissolution des milices et leur intégration dans l'armée n'avait pour but que le désarmement des ouvriers, majoritairement anarchistes dans certaines régions. En Catalogne, une guerre intestine a eu lieu avec les trotskystes du POUM et les anarchistes de la CNT contre la garde civile sous les ordres du PSUC à majorité communiste pro-Staline. Une épuration politique s'était engagée. Les gardes civils tentaient de déloger et désarmer les miliciens. Une propagande, savamment orchestrée, accusait le POUM de collaborer avec les franquistes, mensonge relayé par les journalistes étrangers qui ne donnaient « qu'un seul son de cloche », à la faveur du gouvernement. « Aucun de ceux qui se trouvaient à Barcelone à ce moment-là ou durant les quelques mois suivants ne pourra oublier cette atmosphère abominable engendrée par la peur, le soupçon, la haine, la vue des journaux censurés, les prisons bondées, les queues qui n'en finissaient pas aux portes des magasins d'alimentation et les bandes d'hommes armés rôdant par la Ville ».

La désillusion de la population était de plus en plus marquée. « La vérité, c'est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dégradation progressive, parce que tout simplement des choses telles que la liberté individuelle et une presse véridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l'efficacité militaire ». L'espoir d'un "gouvernement prolétaire" était perdu. Dorénavant, l'objectif était d'espérer que Franco, « lié aux grands propriétaires terriens féodaux et [soutien de ] la réaction cléricale et militariste pleine de préjugés étouffants », n'accède pas au pouvoir (ce livre témoigne des faits jusqu'en juin 1937, Franco n'accèdera au pouvoir qu'en 1939).

De retour au front, Orwell va être touché à la gorge. Après un voyage chaotique sur une route qui a subi les stigmates de la guerre — les hôpitaux proches des zones ne combattent ne soignaient que les blessés intransportables, il découvre un lieu avec de la nourriture grasse en abondance et des infirmières négligentes. À son retour à Barcelone, après avoir été baladé dans plusieurs hôpitaux afin d'obtenir son titre de « bon à rien » l'autorisant à se désengagé des rangs de l'armée, il apprend que le POUM avait été interdit et ses membres arrêtés. Orwell nommera ces évènements « les troubles de mai ». De ces évènements, les membres de la milice au front, combattant les franquistes, n'ont pas été tenus au courant, le gouvernement ayant sans doute eu peur qu'ils arrêtent les combats. Pourtant, lorsqu'ils l'apprirent, ils ont continué de se battre.

À l'arrière un véritable « pogrom politique » était mené. Orwell dut vivre en fugitif ; la nuit, il couchait dehors, le jour il se faisait passer pour un touriste anglais dans les quartiers bourgeois de peur d'être dénoncé. La propagande avait fonctionné : « On était au plus fort de la terreur panique de l'espionnage ; et probablement tous les bons républicains crurent-ils, l'espace d'un ou deux jours, que le POUM était une vaste organisation d'espionnage à la solde de l'Allemagne ». Les membres de la milice encore en liberté devaient faire attention. Les témoignages qu'a reçus Orwell sur les conditions de détention étaient dignes du « Moyen-âge » : « emprisonnement dans d'infects cachots obscurs, nourriture mauvaise et insuffisante, état sérieux de maladie dû aux conditions d'emprisonnements et refus de soins médicaux ».

À la fin du livre, Orwell analyse la politique intérieur de l'Espagne. Il affirme que cette guerre n'a pas été seulement une guerre contre le fascisme, mais une guerre politique entre le PSCU, la CNT et le POUM. Franco était épaulé par une mutinerie, l'aristocratie et l'Église. Contre lui, il y avait la classe ouvrière et la bourgeoisie libérale. Les évènements n'étaient pas une simple résistance, mais une « insurrection révolutionnaire caractérisée » : « Les paysans saisirent la terre ; les syndicats saisir beaucoup d'usines et la plus grande partie des moyens de transport ; on détruisit des églises et les prêtres furent chassés et tués ». Dès l'éclatement de la rébellion franquiste ce sont les ouvriers les premiers à appeler à la grève générale et à obtenir de la part du gouvernement — à contrecoeur — des armes pour s'interposer aux forces de Franco. Par endroits, des comités révolutionnaires coexistaient avec les gouvernements locaux.

C'était un « commencement de révolution » que la presse antifasciste taisait. La principale raison était que le gouvernement — donc le PSCU — voulait empêcher la révolution — avec l'aide de l'URSS — qui selon eux aurait été fatale à l'Espagne, mais aussi pour instaurer une démocratie bourgeoise. D'où l'occultation de certains faits dans les journaux des démocraties capitalistes qui avaient beaucoup investi en Espagne et donc ne voyait pas d'un très bon oeil l'arrivée d'un régime collectiviste. Dorénavant donc, les terres appartenant aux paysans et l'industrie étaient en partie collectivisées. Un an après le début de la guerre, les membres des partis les plus à gauche — CNT et POUM entre autres — de la coalition au pouvoir ont été éjectés du gouvernement au moment où l'URSS commençait à fournir l'Espagne en armes. Celles-ci étaient envoyées surtout aux unités dirigées par les partis alliés. La fondation des Brigades internationales — volontaires étrangers venus combattre Franco — et le nombre de ces membres, permettaient au gouvernement espagnol de gagner en prestige et d'avoir l'adhésion des classes effrayées par les extrémistes.

La grande force du gouvernement était surtout le chantage à la guerre. Ainsi, petit à petit, les trotskystes et les anarchistes perdaient ce qu'ils avaient mis en place — notamment, les terres aux paysans et les industries collectivisées, puis les milices furent dissoutes au sein de l'Armée populaire où les soldes des soldats étaient à nouveau différentes selon le rang hiérarchique. Le PSCU s'est droitisé avec la pression des pays alliés. L'espoir suscité par l'élection du Frente Popular s'en est allé avec.

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